C’est une falaise ! … C’est un sommet ! … C’est une montagne ! Que dis-je, c’est une montagne ? … C’est un Everest ! … Et je ne suis pas alpiniste !
Voici ce que ressentent la plupart des gens à l’idée de se lancer dans l’écriture de leur premier roman (et ne croyez pas que les suivants soient forcément plus simples). Des lecteurs, qui me connaissent comme ingénieur, s’interrogent et veulent savoir : « Mais comment t’as fait pour écrire un livre ? »
Alors voilà, je vais vous révéler le secret : ma chance fut de ne pas écrire un roman. Mon ego m’a entraîné dans un joyeux défi (encore un) … qui a dérapé pour le meilleur. Et si je peux finalement tenir mon premier roman entre mes mains, c’est parce que sans y réfléchir j’ai réinventé quelques bonnes pratiques qui m’ont permis d’escalader les parois qui se dressaient devant moi. Beaucoup de chance donc.
C’est ce dont je vais vous parler ici : comment j’ai foncé sans réfléchir, les murs que j’ai rencontrés et ce que j’ai dû faire pour les franchir. Je suis bien certain que beaucoup de créateurs rencontrent les mêmes obstacles, j’ai envie de partager la méthode et l’état d’esprit qui m’ont permis de réussir car la chance n’est pas toujours au rendez-vous.
Mais laissons le sommet et retournons dans la plaine des débuts…
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Elles étaient trois. Décalées et intemporelles. Trois petites filles en robe des champs et bottines à franges regardant le sol. La terre est dure et des filaments de verdure la sillonnent, mais ce n’est pas vers la végétation rase que s’attardent les regards des fillettes mais sur leurs tenues et chaussures de petites indiennes. L’image a le don de déchaîner chez mes amies de mon groupe d’écriture et de développement personnel une cascade de commentaires joyeux et taquins. J’observe, perplexe, cet intérêt soudain pour une image qui me laisse froid mais qui semble déclencher chez ces dames un flot de souvenirs et d’émotions. Mes yeux parcourent les commentaires sous la photo et là, que vois-je ? Didier arrive, trébuche et laisse tomber son carnet dans le panier de framboises. Il relève le défi, sort son carnet de secours et reprend son texte là où il l’avait laissé.
J’ai donc repris mon clavier et, afin d’alimenter mon défi des 30 jours dont je parlais dans la précédente newsletter, commencé le feuilleton parodique d’une jeune femme prénommée Framboise, dotée d’un talent pour les bottines à franges et dont la vie trébuche dans des embrouilles avec la mafia. Avec deux à trois publications par semaine, telle un feuilleton, l’histoire a progressé.
Je m’amusais, décomplexé par l’absence d’enjeu et de délai. No stress ! Je jubilais en écrivant et mes lectrices en me lisant. Chaque épisode procurait un plaisir de lecture et on me réclamait une suite.
Premier apprentissage : le plaisir est essentiel.
Si l’auteur ne s’amuse pas, le texte n’est pas bon et le lecteur s’ennuiera.
« La créativité, c’est l’intelligence qui s’amuse. » Albert Einstein
Après 30 pages, j’ai compris qu’avancer d’épisode en épisode est comme poser les pièces d’un puzzle immense : on est content d’avoir trouvé quelques pièces et on ne stresse pas sur l’objectif lointain de finir le puzzle.
Deuxième apprentissage : avancer par petites étapes permet de se voir progresser et donne confiance. Mieux vaut se concentrer sur un bout de texte que sur le roman dans sa globalité, ou mieux vaut regarder ses pieds que lever les yeux vers le sommet.
« Il ne faut pas penser à l’objectif à atteindre, il faut seulement penser à avancer. C’est ainsi, à force d’avancer, qu’on atteint ou qu’on double ses objectifs sans même s’en apercevoir. » Bernard Werber
Après 35 pages, j’ai rencontré mon premier obstacle : Framboise est venue à ma rencontre, les poings sur les hanches et les sourcils froncés. Elle m’a lancé : « le bel espion qui me regarde dans les yeux, qu’est-ce qu’il voit ? Ils sont de quelle couleur mes yeux ? Et j’ai quel âge ? Je suis plus vieille que lui ou pas ? Si je veux l’embrasser, je me mets sur la pointe des pieds ? »
Parti bille en tête dans mon feuilleton, je me suis fait rattraper par le flou de mes protagonistes. Mieux vaut faire connaissance avec eux très tôt. Beaucoup disent même que c’est un prérequis et rédigent des dossiers entiers sur leurs protagonistes.
Troisième apprentissage : il est toujours bon d’anticiper la rencontre avec ses personnages et de se préparer tôt à en faire des créatures de chair, de sang et d’émotions.
« Sans personnage, pas de roman. » Anthony Burgess
Mon héroïne est obstinée et n’en fait qu’à sa tête. Quand mon cerveau avait planifié « Et elle se sauva aussi vite qu’elle pouvait avant de se faire repérer. FIN DE CHAPITRE », mes doigts ne purent s’empêcher d’écrire « et elle s’enfonça dans la ruelle sombre à la rencontre du danger et de l’homme armé. » Les deux jours suivants, je les ai consacrés à reconstruire l’histoire qui avait bifurqué sur des chemins de traverse. L’intrigue était plus belle ainsi.
Quatrième apprentissage : les personnages prennent vie, parfois. Ils font leurs choix et prennent des décisions. Écoutons-les.
« Ce qui est intéressant dans l’écriture c’est quand le personnage se met à exister par lui-même. » Philippe Besson
Après 40 pages, une idée m’a traversée l’esprit : mais si je continue à ce rythme… cela va faire un roman ! Oui, mais… c’est un peu léger ce feuilleton. Il me faut étoffer et construire une deuxième intrigue.
La belle Melody est arrivée dans le récit depuis le Japon, puis Charly, le patron des whiskys Endorfyn Fairywood, s’est invité avec Erwan McCoy le cyberspécialiste, et toutes ces lignes de vie sont venues s’entremêler à l’unique brin d’ADN du roman porté par Framboise. J’étais perdu dans les chronologies et dans les séquences d’actions : j’ai ouvert Excel et fait un plan.
Cinquième apprentissage : un roman qui a un peu d’étoffe nécessite un plan, même sommaire, même non fini. Le plan est nécessaire pour ne pas se perdre et poser la vision.
« Trouver n’est rien, c’est le plan qui est difficile. » Fiodor Dostoïevski
Cinq mois plus tard, je mettais avec émotion et étonnement le point final à un roman de 500 pages. Incroyable ! Ébahi d’avoir un roman et surtout ébahi d’avoir écrit un thriller humoristique, joyeux, un rempart à la morosité ambiante. Je n’aurais jamais imaginé écrire ce genre de roman. Je me connais mieux.
Récapitulons ce qui m’a permis d’arriver à ce résultat :
- Amusez-vous, sinon à quoi bon ? Sinon ce n’est pas bon !
- Avancez petit pas à petit pas
- Rencontrez vos personnages le plus tôt possible
- Écoutez-les, ils sont vivants ! Laissez-les prendre leur place dans leur monde.
- Anticipez, planifiez le récit. Dessinez la ligne d’horizon.
Gardons en tête LA règle d’or : NO STRESS !
Bonus magique : lâchez les rênes de votre créativité pour vous connaître encore mieux.