Texte sans queue ni tête: le ding-dong

Illustration du texte "Le ding-dong"

 

Le ding-dong

 

Dans les profondeurs des abysses vivait le ding-dong. Les marins des mers du sud l’appelaient le dingueu-dongue, et les enfants du Bangladesh le dine-done. Plus près de chez nous, à Marseille, c’était le guedin. Malgré tout cela, ding-dong restait l’appellation la plus courante du dingus-diguedongus, cet étrange poisson rescapé de la préhistoire et qu’un pêcheur de Madagascar venait de remonter dans ses filets.

Jusqu’alors, malgré sa forte présence dans les contes populaires et dans les traditions orales, les scientifiques croyaient l’espèce éteinte. La seule preuve attestée de son existence était un fascinant fossile hybride avec branchies et poumons, découvert par l’expédition australo-guatémaltèque de 1777 dans une roche karstique du massif marocain du Tamankrapoute.

Dans la petite communauté des ichtyologues, la découverte du pêcheur malgache avait fait l’effet d’un raz de marée. L’IFREMER avait aussitôt affrété son meilleur navire scientifique, la Veuve Cliquot, dirigé par son capitaine au long cours, Benoît de Pécan. La Veuve Cliquot faisait maintenant route vers le canal du Mozambique, prête à immerger Bouboule, le sous-marin jaune exploratoire.

Les deux scientifiques de l’expédition, Guy Tarsaich et Alphonse Danlta, avaient affûté leurs crayons et préparé leurs carnets de croquis tandis qu’Emma Nietik, la jeune et jolie technicienne de l’expédition, préparait les caméras sous-marines et les projecteurs pour grands fonds.

Deux mille mètres sous la Veuve Cliquot, ignorant tout de l’agitation que sa redécouverte avait provoquée dans les milieux spécialisés, un ding-dong vaquait à sa principale occupation : croquer plus petit que lui.

Trouver ses proies n’était pas une sinécure quand on vivait dans un univers en trois dimensions totalement obscur. Le ding-dong était un poisson translucide à très large gueule et aux fines dents acérées, long d’une cinquantaine de centimètres et dont la forme évoquait un cône, tant il allait en rétrécissant de la gueule à la queue. Sur le sommet de ce qui lui tenait lieu de crâne était plantée une petite excroissance d’une quinzaine de centimètres se terminant par une petite boule violette, et qui, quand il l’agitait, faisait un bruit de clochette : ding-dong, ding-dong…

Contrairement à d’autres espèces parcourues à intervalle régulier d’une étincelle électrique les faisant scintiller dans la nuit des abysses, ou à d’autres qui avaient, en lieu et place de clochette, une boule lumineuse à facette ou même un corps stroboscopique lançant des éclairs, l’évolution avait favorisé le son chez le ding-dong. Et donc, le ding-dong sonnait. Celui-ci avait faim. Il faisait sonner sa clochette en espérant que le bruit léger intriguerait de petits poissons curieux qui s’approcheraient suffisamment pour qu’il les engloutisse dans son estomac transparent.

Le ding-dong restait vigilant : sa clochette n’attirait pas que ses proies, mais aussi son meilleur ennemi et prédateur, le calamar géant des profondeurs.

Dans son étude de référence, Alphonse Danlta avait fait consensus en déclarant crûment :

Madame ding-dong est une mélomane. Quand les affres de l’amour la tourmentent, elle cherche le mâle en agitant sa clochette. Ainsi, elle émet elle aussi ces tintinnabulements qui permettent aux futurs amants de se géolocaliser et de se rejoindre dans les abysses. Car cette fameuse clochette sur la tête n’est pas qu’un instrument de prédation, c’est aussi un radar sonore opérant dans les très basses fréquences.

Dans le cercle restreint des ichtyologues, Alphonse Danlta était bien connu pour son impulsivité. Son collègue Guy Tarsaich, bioacousticien, était plus dubitatif : tout cela restait à vérifier.

S’il s’était trouvé sous l’eau avec son micro, Guy Tarsaich aurait été ravi. Un Monsieur ding-dong et une Madame ding-dong se promenaient en famille avec leurs six petits, agitant la tête en faisant leur marché. Son oreille avertie n’aurait pas manqué de faire une analogie avec un petit concert de xylophone.

Au moment où Benoît de Pécan manœuvrait le treuil destiné à immerger Bouboule, équipé d’une myriade de capteurs et caméras, un calamar mélomane et géant qui rôdait trois mille mètres plus bas fit danser ses tentacules et entama une longue remontée.

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